TOUT LE MONDE EN PARLE : “Télétravail - la nouvelle norme ?”

TOUT LE MONDE EN PARLE : “Télétravail - la nouvelle norme ?”

(par Anne-Isabelle Legouy)

Nous nous penchons aujourd’hui sur le “remote”, le travail à distance, le télétravail… Autant de mots que de façons d’organiser son temps de travail. Bien connu des “digital nomads”, ces précurseurs d’un travail plus flexible, le travail à distance s’est imposé comme véritable levier pour maintenir l’activité d’un grand nombre d’entreprises à travers le monde pendant une crise sanitaire globale.

On vous propose un rapide historique de la notion de télétravail avant de se pencher sur l’impact du Covid sur nos façons de travailler. Bonne lecture !

Petit historique du télétravail B.C. (Before Covid)

La notion de “télétravail” ne date pas d’hier et encore moins de 2020. Un rapport d’information parlementaire sur le télétravail rédigé par le Sénat nous apprend que la notion naît dans les années 80, dans un rapport de Simon Nora et Alain Minc portant sur l'informatisation de la société.

Il faudra attendre le début des années 2000 et plus particulièrement 2005 pour qu’un accord soit conclu par les partenaires sociaux français, suivant le chemin tracé par les partenaires sociaux européens deux ans auparavant. Une première définition du télétravail voit alors le jour : une forme d'organisation et/ou de réalisation du travail utilisant les technologies de l'information, dans le cadre d'un contrat ou d'une relation d'emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l'employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière. Notez l’utilisation de ces “technologies de l’information” : nous y reviendrons !

Déjà, l’accord mettait en avant les bénéfices du télétravail : une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, une plus grande autonomie des salariés dans leur travail, la promotion de l’emploi et la lutte contre la “désertification” de certains territoires, etc.

Si la légifération en la matière témoigne d'une réelle volonté de moderniser l’organisation du travail, la mise en pratique du texte fut périlleuse et les employeurs ne s’y risquaient pas. Le législateur français semblait plutôt courir péniblement derrière le train à grande vitesse du développement technologique en essayant tant bien que mal de s’y adapter. En 2021, Jean-Emmanuel Ray, spécialiste en droit du travail, évoque en ce sens l’accord de 2005 et indique que s’il date de 15 ans, il date en réalité de “175 en temps internet : Facebook date de septembre 2006, l'iPhone est né en novembre 2007, et la 4G en 2013”.

Il faudrait ensuite attendre 2012 pour que le télétravail fasse son entrée dans le code du travail puis 2017 pour que soit reconnu un “droit au télétravail” par l'ordonnance 017-1387 du 22 septembre 2017.

Grâce à cette ordonnance, la pratique du télétravail augmente de 50%. Une étude de Malakoff Médéric Humanis précise que “le télétravail séduit de plus en plus parce qu'il répond au besoin croissant de souplesse et d'autonomie exprimé par les salariés pour mieux articuler leur vie professionnelle et personnelle”. Un rapport de 2012 “Le télétravail dans les grandes entreprises françaises. Comment la distance transforme nos modes de travail ?” met elle, en évidence, des chiffres largement favorables au télétravail :

  • + 22 % de gain moyen de productivité en télétravail grâce à une réduction de l'absentéisme, à une meilleure efficacité et à des gains de temps ;
  • 37 minutes de temps moyen gagné au profit de la vie familiale par jour de télétravail ;
  • 45 minutes de temps moyen de sommeil supplémentaire par jour de télétravail ;
  • 96 % de taux de satisfaction liée au télétravail de toutes les parties prenantes : télétravailleurs, managers, et employeurs ;
  • 144 arbres à planter par an pour économiser autant de CO2 que le télétravailleur moyen français en une année.

Si la pratique du télétravail est progressivement plus courante à compter de 2017, elle reste marginale et réservée à certains actifs seulement : il s’agit généralement d’indépendants, exerçant leur activité en free-lance (les fameux “digital nomads”), ou encore certains cadres dont l’activité et l’emploi du temps permettent une certaine flexibilité dans l’organisation de leur travail.

La pandémie de Covid-19 est venue bouleverser bon nombre de choses de notre quotidien, mais avant tout l’organisation de notre travail. Alors que le télétravail était jusqu’alors une modalité de travail, il s’est imposé en véritable levier de maintien de l’activité face à une crise sanitaire globale.

L’impact du Covid-19 sur le télétravail : naissance ou renouveau d’une façon de penser le travail

A - Quelques chiffres clefs

Un rapport de l’OCDE, le télétravail pendant la pandémie de Covid-19: tendances et perspectives, nous présente des chiffres parlants sur l’impact du Covid sur l’organisation du travail :

En Australie, en France et au Royaume-Uni, 47 % des employés ont télétravaillé pendant les confinements en 2020. Dans des pays dans lesquels le télétravail était déjà bien implanté, le taux de télétravailleurs a explosé : 60% en Finlande et plus de 50% en Belgique, au Danemark, Luxembourg et Pays Bas.

Sans surprise, les secteurs à forte composante numérique ont affiché un taux de télétravail les plus élevés pendant la pandémie : plus de 50 % des employés y ayant eu recours en moyenne.

Une enquête Anact-Aract réalisée entre mars et mai 2020 révèle la vision des travailleurs sur l’organisation de leur travail post-Covid : 53 % des télétravailleurs interrogés n'avaient jamais eu recours à ce mode de travail auparavant. 28 % d'entre eux télétravaillaient de manière occasionnelle et seulement 19 % de manière régulière. Interrogés sur leur intention de télétravailler à l'avenir, seuls 12 % ne le souhaitent pas, tandis que 43 % aimeraient ainsi télétravailler de manière régulière et 45 % de manière occasionnelle ou ponctuelle.

Parmi les arguments mis en avant par les défenseurs du télétravail on retrouve : la possibilité de concilier vie privée et vie personnelle, liberté d’organiser son temps de travail en fonction de ses objectifs, liberté de choisir son cadre de travail pour travailler dans les meilleures conditions.

Ces bénéfices, nous l’avons vu, n’ont rien de novateurs et étaient déjà mis en avant au début des années 2000. Ils ont cependant été étendus à un public bien plus large et ont permis de se repencher sur les principes clefs d’une bonne gestion de l’entreprise.

B - Repenser l’organisation du travail à partir de principes fondamentaux

La première conséquence du Covid sur la vie de l’entreprise a été de repenser notre rapport au travail. Pour autant, cette réflexion ne semble pas avoir fait émerger de constats particulièrement novateurs, au contraire ! Il apparaît plutôt que le Covid nous a ramenés à l’essentiel de ce qu’est le travail et de ce que sont les rapports de personnes qui travaillent ensemble.

A titre d’exemple, l’Organisation Internationale du Travail a élaboré un guide (Le télétravail durant la pandémie de Covid-19 et après) présentant des recommandations à destination des employeurs pour leur permettre d’encadrer au mieux le télétravail dans leur entreprise. A y regarder de plus près, on se rend compte que ces axes de réflexion n’ont rien de nouveau et semblent même plutôt évidents et propres au travail en soi, au-delà d’un impératif à mettre en place pour encadrer le télétravail.

Un premier axe mis en avant dans le guide est celui du rendement. L’OIT invite les entreprises à fixer l’évaluation du travail de leur salarié sur l’atteinte d’objectifs plutôt que sur l’addition des heures travaillées. Il faut donc donner au travailleur des indications très précises sur les missions qui lui sont confiées et sur les résultats attendus de lui. Axer l’activité de l’entreprise sur le rendement permet au travailleur d’organiser comme il le souhaite son temps de travail : l’essentiel étant qu’il atteigne ses objectifs.

Pour permettre l’atteinte de ces objectifs, l’entreprise doit veiller à maintenir une communication excellente et une confiance absolue. Cette partie nous interpelle tout particulièrement : “Les travailleurs doivent être convaincus qu’ils peuvent prendre des décisions sans crainte de répercussions négatives, et que les erreurs font partie du processus d’apprentissage et de développement”. Cette confiance absolue qui doit régir tous rapports au sein d’une entreprise ne concerne-t-elle que les entreprises qui ont recours au télétravail ? Il nous semble que l’OIT a plutôt saisi une belle opportunité pour rappeler des principes clefs d’une bonne gestion du travail et des rapports en entreprise.

Tout un pan du guide porte sur la santé au travail. Pendant les confinements successifs, de nombreux travailleurs ont fait état de troubles anxieux, d’un stress accru par les circonstances et l’évolution de leur charge de travail. Les guidelines apportées par l’OIT sont ici propres au télétravail : les entreprises doivent s’assurer que les salariés sont bien équipés pour travailler dans de bonnes conditions. Néanmoins, cette partie est également l’occasion de rappeler l’importance du bien-être des travailleurs et sa conséquence sur la qualité de leur travail, même dans un contexte hors pandémie mondiale.

En fin de compte, il semblerait que le Covid ait été un excellent prétexte pour se rappeler les éléments indispensables pour qu’une entreprise fonctionne au mieux : une excellente communication, un rapport de confiance, des objectifs clairs et définis. A côté de ces grands principes vers lesquels toute entreprise peut tendre, l’organisation du travail, en entreprise ou en télétravail, est nécessairement amenée à évoluer puisqu’elle n’est plus qu’un moyen de faire en sorte que l’entreprise se porte au mieux, et plus un impératif en soi. Et ce, que nous vivions une pandémie mondiale ou non !

C - Et demain ?

Que le Covid dure encore 10 ans ou non, l’engrenage de la réflexion sur l’organisation du travail est bien lancé et il semble à la fois impossible et inopportun de faire machine arrière.

Impossible parce que l’expérience du télétravail s’est produite à trop grande échelle pour que les entreprises, sauf exception liée à la nature même de l’activité, s’y soustraient. Inopportun parce que le télétravail répond aussi à une évolution du monde dans lequel nous vivons et des technologies que nous utilisons. Nous possédons désormais un nombre incalculable d’outils, dont le développement a été initié par la crise sanitaire, qui nous permettent de travailler différemment.

Rappelez-vous de la définition du télétravail qui a vu le jour dans les années 2000. Une forme d'organisation et/ou de réalisation du travail utilisant les technologies de l'information, dans le cadre d'un contrat ou d'une relation d'emploi, dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l'employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière.

Ces technologies de l’information sont aujourd’hui bien plus diversifiées et nous amènent à réfléchir à plus grande échelle à l’organisation de notre travail : tablettes, smartphone, ordinateurs, tous logiciels de communication (Slack, Hangout, Zoom, Skype, Teams, etc),... et demain ? Nous vous parlions dans notre première newsletter des métavers, et nous avions d’ailleurs imaginé un scénario dans lequel il serait possible de vivre une vidéo conférence en réalité augmentée pour pallier les insuffisances des vidéos conférences que nous connaissons aujourd’hui.

Peu importe la vision qu’on a de l’organisation du travail de demain, la machine est déjà lancée, au point où Facebook a annoncé qu’environ 50% de ses futures embauches seraient entièrement en télétravail ! Autant se pencher d’ores et déjà sur la question, non ?