đ FOCUS EXPERT : Luc Julia
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Dans chaque numĂ©ro, nous proposons Ă quelquâun qui baigne au quotidien dans le monde des startups ou qui est au contact de lâinnovation, de nous donner sa vision du monde, ses focus du moment ou de nous parler de ses actions au cĆur de cet univers.
Aujourdâhui nous avons la chance dâavoir interviewĂ© le Dr Luc Julia, Ă lâoccasion de la sortie de son livre âOn va droit dans le mur ?â (nâoubliez pas le point dâinterrogation) : Luc Julia (le papa de Siri, pour ceux qui ont des iPhones !), est aujourdâhui chez Renault et Ćuvre Ă la crĂ©ation de la mobilitĂ© de demain. Il se dĂ©crit comme un inventeur et il nous expose Ă travers cette interview comment rendre celle-ci meilleure et nous raconte comment il va changer le monde.
Interview réalisée mi février 2022, par Nash via Zoom
Présentation : comment peut-on te présenter, Luc ?
Je suis un inventeur, câest ce que je fais de mieux ! jâessaie dâinventer des choses utiles pour les vrais gens ! Et mon jeu perso, câest de faire en sorte que ces inventions soient utilisĂ©es par le plus de monde possible !
Alors je me suis amusĂ© au dĂ©but avec quelques millions, quelques centaines de millions et maintenant je suis au milliard, donc je fais des trucs, je propose, jâai beaucoup de dĂ©chets, mais voilà ⊠donc âinventeur de trucs qui sont peut-ĂȘtre utiles pour les vrais gensâ, en gardant en tĂȘte le respect des gens, et le respect de notre planĂšte. Ce que je nâai pas toujours bien fait ! Parce que je mâen suis rendu compte parfois un peu trop tard, comme Marie Curie sâest rendu compte un peu trop tard, que faire lâatome, câĂ©tait un problĂšme !
Sur quoi travailles-tu ?
LâIA et les objets connectĂ©s (jâai eu la chance Ă©norme de naĂźtre professionnellement avec internet en gros !) et donc lier lâIA avec internet et avec ces objets connectĂ©s câest excitant ! Ce sont des objets qui ne sont pas forcĂ©ment physiques, ça peut ĂȘtre des objets « services », hein, mais la connectivitĂ© entre nous humains, faire en sorte quâon ait de meilleures relations entre nous (pas Ă la Zuckerberg, hein ! Je ne parle pas des rĂ©seaux a-sociaux !) je parle de faire en sorte que les humains se parlent mieux, communiquent mieux, vivent mieux ensemble et avec ces objets qui nous entourent, quâil sâagisse de services ou dâobjets pratiques de tous les jours.
La mobilitĂ© dans tout ça ? Quel photographie en fais-tu aujourdâhui ?
Aujourdâhui, il y a beaucoup de choses qui changent dans la mobilitĂ©, dans les voitures elles-mĂȘmes : on a vu que depuis cinq six ans, il y a des acteurs qui ont un peu changĂ© la relation avec la voiture, hein, (Tesla, Lucid, les gens de la Silicon Valley), qui ont redĂ©fini la façon dont on crĂ©e des voitures, la façon dont on interagit avec ces voitures, en secouant un peu tout lâĂ©cosystĂšme des vieux dinosaures dâune centaine dâannĂ©es, qui eux, doivent se mettre au diapason, mais pas forcĂ©ment imiter ce que font ces jeunes, dans le sens oĂč les vieux qui ont 100 ans, ils savent faire des bagnoles, donc ils en font des bonnes, mais ils ne font peut-ĂȘtre pas les bagnoles qui sont exactement celles que les gens veulent maintenant, qui sont plus des Tesla et autres Lucid⊠sauf que ces Tesla et autres, elles coĂ»tent un bras quand mĂȘme ! Donc elles ne sont peut-ĂȘtre pas pour tout le monde. Donc est-ce que la voiture de monsieur tout le monde -en lâoccurrence pour moi Renault- est-ce que lâon peut la faire telle que les gens ont envie de lâavoir, tout en conservant ce savoir faire autour de la bagnole telle quâon sait la faire depuis longtemps ?
La mobilitĂ© ce nâest pas que ça, elle change aussi dans le sens quâon nâest pas obligĂ© de possĂ©der une voiture⊠on doit rĂ©flĂ©chir Ă ce que ça veut dire dâaller dâun point A Ă un point B.
Ăa peut vouloir dire prendre la voiture, mais aussi peut-ĂȘtre prendre mon vĂ©lo, et puis ma voiture, et puis mon bus, et puis tout ça : il faut rĂ©flĂ©chir Ă ces inter-connectivitĂ©s⊠câest lĂ que lâon retrouve la connexion et les interopĂ©rabilitĂ©s entre les diffĂ©rents modes de transport. Qui ne sont pas forcĂ©ment individuels dans le sens de la « possession ».
Dans lâavenir, je pense quâon sera âusagerâ de trucs qui vont nous faire dĂ©placer, ces trucs il faut quâils soient le plus Ă©cologique possible parce que faut arrĂȘter de faire pĂ©ter la planĂšte, avec des particules, le rĂ©chauffement et tout ce que lâon a pu faire de pas bien avant, hein, et je ne dis pas quâil y a une solution idĂ©ale, parce que lâon critique souvent « lâĂ©lectrique câest pas si bien que ça », bah peut-ĂȘtre, mais câest mieux quâautre chose, donc faut avancer un peu et arrĂȘter de critiquerâŠ
Maintenant, il faut regarder aussi dans le passĂ©, et quand on regarde la voiture dâhier, la rĂ©alitĂ©, câest que 95% du temps, on ne sâen servait pas, on ne lâutilisait que 5% du temps, donc peut-ĂȘtre quâil y a une logique de sharing, de partage qui doit ĂȘtre prise en compte, Ă©videmment. Mais ça ne coule pas de source : avec AutoLib Ă Paris, on a bien vu que le partage nâest pas forcĂ©ment facile, parce que on nâa pas envie de monter dans une bagnole dĂ©gueulasse, donc il y a des problĂšmes quâil va falloir gĂ©rer au niveau de la sociĂ©tĂ©, quâon dĂ©cide si lâon a envie de faire ça, si lâon a envie de cracher dans une bagnole pour le que le mec dâaprĂšs trouve un truc dĂ©gueulasse ou si lâon a envie de tous vivre ensemble correctementâŠ
Quoiquâil en soit, on va vers une optimisation. Du temps dâutilisation de ces voitures, le mode de transport (parfois, câest plus facile de passer dans un endroit en vĂ©lo quâen voiture), etc. Quand il pleut, jâai pas envie de me faire saucer la tronche en trottinette, donc il y a plein de choses Ă gĂ©rer. Et donc tout ça câest de lâintelligence : si je devais rĂ©flĂ©chir Ă comment je veux optimiser mon truc de A Ă B, si jâai un assistant de « choix de mobilitĂ© » qui me dit « comment ça serait mieux »,  et qui me donne les outils et des options pour que je choisisse tranquillement, en toute connaissance de cause, et en Ă©tant content de faire quelque chose pour la planĂšte, alors câest gagnĂ©.
Et la data, la responsabilité, les biais du traitement de la data là -dedans ?
Au niveau de la responsabilitĂ©, des assurances, des biais des traitements des donnĂ©es, de l'entraĂźnement des algorithmes, ce qui est important câest que la sociĂ©tĂ© gĂšre, entraĂźne et avance : on nâest pas dans une dictature, donc ça veut dire que lâon doit dâabord sâĂ©duquer, donc comprendre comment ces trucs marchent (il nây a pas de solution idĂ©ale), ne pas critiquer, mais sâĂ©duquer, et une fois que câest fait, collectivement, câest mon vĆu pieux, on fait remonter nos desideratas au rĂ©gulateur (les gouvernements, lâEurope, etc.), et puis lâon prend les dĂ©cisionsâŠ
Est-ce que câest la voiture qui est responsable si une mĂ©mĂ© est passĂ©e devant au feu rouge ou est-ce que câest le conducteur, je ne sais pas. Aujourdâhui jâen sais rien, il faut quâon dĂ©cide ensemble ce qui a le plus de sens⊠les accidents il va y en avoir de moins en moins : câest une rĂ©alitĂ© parce que les systĂšmes vont nous aider Ă en avoir moins, mais il y en aura, il ne faut pas mentir ! Donc quand il y aura des accidents, qui sera responsable de lâaccident, je ne le sais pas ! Et il faut quâon dĂ©cide collectivement que câest le propriĂ©taire de la bagnole, que câest lâassurance, que câest je ne sais pas qui, mais je ne sais pas aujourdâhui.
Maintenant, quand on parle des choix sur la mobilitĂ© : est-ce que je pars sur lâĂ©lectrique ou lâhydrogĂšne, eh bien pareil, il faut sâĂ©duquer et arrĂȘter de raconter nâimporte quoi, et câest compliquĂ©, dans le monde dâinternet dâaujourdâhui avec toutes ces fake news dans tous les sens, câest compliqué⊠est-ce que lâĂ©lectrique pour moi, est la solution la plus Ă©vidente, aujourdâhui : bah oui, pour moi câest Ă©vident que câest mieux de faire des batteries, mĂȘme si ça coĂ»te de faire des batteries, mĂȘme sâil y a un problĂšme de recyclage, mais le problĂšme de recyclage il est peut-ĂȘtre pas si grand que ça, parce que peut-ĂȘtre quâon peut rĂ©utiliser les batteries aprĂšs en deuxiĂšme vie, troisiĂšme vie etc, et ça on ne le dit pas, donc je pense que la mobilitĂ© doit ĂȘtre plutĂŽt Ă©lectrique.
Maintenant, au point de vue data, câest un autre problĂšme, câest un Ă©norme problĂšme, parce que les datas sont biaisĂ©es, (Ă©videmment, Ă partir du moment oĂč elles sont historiques, elles sont biaisĂ©es), ça veut dire quâil faut sâen rendre compte, il faut comprendre que de temps en temps il y aura des erreurs, câest comme dans les accidents dont je parlais tout Ă lâheure, de toute façon il y aura des erreurs de data, il faut comprendre collectivement si ce sont des erreurs qui ont Ă©tĂ© faites exprĂšs ou pas, et en fonction de ça, le rĂ©gulateur, encore, doit trancher.
La rĂ©gulation, je ne pense pas Ă un truc hyper fermĂ© disant quâil faut toujours mettre des carcans, vous nâavez pas le droit de faire ceci, pas le droit de faire cela, mais il faut rĂ©guler en conscience. Et donc Ă partir du moment oĂč lâon comprend quâil y a un potentiel problĂšme, ceux Ă lâorigine du potentiel problĂšme doivent faire plus attention. Dans le choix des donnĂ©es, par exemple, ça veut dire de faire juste plus attention. On va faire des erreurs, il y aura des bugs, mais au moins, quâon ne les fasse pas exprĂšs !
Ceux qui font des bugs « exprĂšs », eux, il faut quâils soient condamnĂ©s, entre guillemets, par la sociĂ©tĂ© !
Prenons lâexemple dâun constructeur automobile idĂ©al. Cette optimisation dont on parle, elle est Ă tous les niveaux : on va partir de la conception, dĂ©jĂ , dans la conception des voitures, on peut faire des tas de trucs extraordinaires, avec la simulation, avec des choses comme ça⊠on nous saoule avec le MĂ©tavers aujourdâhui, le MĂ©tavers Ă la Zuckerberg jâen nâai rien Ă foutre, je veux dire câest vraiment pas intĂ©ressant, par contre, le mĂ©tavers en tant que jumeau numĂ©rique pour pouvoir faire des simulations dans ce mĂ©tavers pour faire des voitures qui vont ĂȘtre plus rĂ©sistantes au crash-tests et des machins comme ça, câest rigolo ! LĂ , il y a quelque chose Ă faire ! Donc dĂšs la conception, on peut amener de la technologie. Que ce soit du jumeau numĂ©rique, de lâIA (il y a beaucoup dâIA lĂ -dedans !) pour avoir les bons modĂšles, pour pouvoir crasher une bagnole virtuelle dans un mur virtuel, il y a des trucs extraordinaires Ă faire.
AprĂšs ça, il y a la fabrication : quand on fabrique les bagnoles on va pouvoir optimiser aussi ! Ca veut dire- faire en sorte que pour les gens qui travaillent dans ces usines ce soit moins compliqué⊠alors depuis longtemps on a mis des robots, pour permettre aux gens dâĂȘtre plus Ă lâaise dans leur travail grĂące Ă ces robots⊠il y a ce que lâon appel des « co-bots » maintenant, mais lâhomme est toujours lĂ parce quâil faut toujours quâon soit quelque part pour vĂ©rifier ce quâils font ces robots, parce quâils ne sont pas sans faille, et donc on optimise ça aussi, on optimise le fait que ces robots parfois tombent en panne⊠notamment avec tout ce qui sâappelle « predictive maintenance » en IA -câest des statistiques, hein !- câest savoir Ă lâavance quand le truc va tomber en panne, câest important, et dans les usines câest sympa, parce que si tu as une chaine qui sâarrĂȘte tu as des gars qui sont au chĂŽmage, tâas des voitures qui ne sortent plus, tâas une productivitĂ© qui baisse, donc il y a plein de choses aussi Ă faire aussi au niveau des usines elles-mĂȘmes.
Et puis il y a la voiture, lâobjet lui-mĂȘme qui a potentiellement Ă©tĂ© conçu dans ces mondes numĂ©riques, et qui se retrouvent maintenant dans le vrai monde et donc qui vont circuler dans ces trucs-lĂ , et faut quâils voient mieux, quâils sentent mieux, quâils sachent mieux, il faut quâils aillent se recharger tout seuls, donc il y a plein de trucs Ă faire dans la conception de la voiture elle-mĂȘme, pour quâelle sente son environnement, avec les camĂ©ras, les capteurs, les radars, et puis aprĂšs, il y a les gars qui sont dedans, parce quâĂ la fin ces trucs, on les fait pour les gens ! Et donc ces gens, quâest-ce quâils vont foutre dans ces bagnoles maintenant quâelles sont de plus en plus autonomes ? Et lĂ câest intĂ©ressant aussi dây rĂ©flĂ©chir ! Est-ce que la voiture devient ton salon ? Est-ce que la voiture devient ton bureau ? Est-ce que la voiture devient ta cuisine ? Tu vas maintenant faire un Paris-Nice oĂč tu ne vas pratiquement pas toucher le volant et donc quâest-ce que tu vas foutre dans cette bagnole ? Tu peux faire un salon avec un Ă©cran gĂ©ant, tâes tranquille et tu peux regarder des films entre Paris et Nice, mais peut-ĂȘtre quâil y a mieux Ă inventer ? Peut-ĂȘtre que câest un salon « plus plus » ? Et câest rigolo dâenvisager ces futurs lĂ .
Et donc dans toute la chaĂźne depuis la conception jusquâĂ lâobjet, et mĂȘme jusquâaux gens qui utilisent lâobjet, eh bien il y a plein de trucs Ă faire et Ă inventer !
La limite Ă la voiture Ă©lectrique, notamment, ce sont les infrastructures : que doit-on faire ?
Il faut rĂ©flĂ©chir aux infrastructures. Tu ne vas pas mettre des voitures Ă©lectriques sans bornes : les constructeurs y rĂ©flĂ©chissent, Tesla nous a montĂ© son propre rĂ©seau, ce nâest peut-ĂȘtre pas le truc optimal, mais on voit aujourdâhui que Tesla ouvre ses rĂ©seaux aux autres, et câest bien, et ça prouve quâil y a une logique de partage, hein⊠Donc cette infrastructure, elle va exister, il va falloir la crĂ©er, mais ça fait partie des rĂ©flexions globales, parce que tu ne peux pas penser âvĂ©hicules Ă©lectriquesâ si tu ne penses pas âmaillage des bornesâ et pour ça, il y a plein de trucs rigolos Ă faire⊠Tu sais, on va partir dans le temps, 200 ans en arriĂšre, avec les HĂŽtels : on pouvait voyager, etc, jusquâĂ ce quâil y en ait partout, et puis un jour il y a eu AirBnâB, et donc il y a eu encore plus de choix, plus de choses, et je suis sĂ»r que câest la mĂȘme chose avec les rĂ©seaux, et ça va sâaccĂ©lĂ©rer, on ne va pas attendre 200 ans pour le faire ! Il va y avoir les institutionnels comme les Tesla, les EDF, les constructeurs, tout ça, et puis un jour peut-ĂȘtre le AirBnâB de la recharge ? On va inventer des trucs, et ça va se faire tranquillement⊠et oui, il y aura des couacs, et oui, parfois on sera un peu dans le caca, comme quand parfois tu nâarrives pas Ă lâhĂŽtel et que tu es obligĂ© de dormir dans ta voiture⊠bon bah, ça arrive !
Livre ?
Le titre, « On va droit dans le mur ? » avec le point dâinterrogation câest ça qui est important ! Parce que lâon peut ĂȘtre pessimiste, en clamant « on va droit dans le mur » et donc se plaindre, ce que font beaucoup de gens, on se plaint, on se plaint, on se plaint, ou alors on peut demander si lâon va droit dans le mur avec le point dâinterrogation, en disant, « on a un problĂšme les gars, collectivement, il faut le reconnaĂźtre, mais regardez : il y a plein de solutions ! ». Et la technologie fait partie des problĂšmes, mais la technologie fait aussi partie des solutions ! et donc ce bouquin câest un constat que jâessaie le plus honnĂȘte possible, et puis aprĂšs, il y a des solutions collectives et les solutions personnelles : moi petit citoyen, au jour le jour est-ce que je peux faire quelque chose ? un petit guide pratique de 10, 20, 50 trucs quâon peut faire tous les jours nous-mĂȘmes comme par exemple, mettre le couvercle sur les pĂątes quand on les fait bouillir ! Tout un tas de trucs dĂ©biles, mais pratiques, qui montrent quâon peut avoir un impact sur la planĂšte trĂšs simplementâŠ
âOn va droit dans le mur ?â est sorti le 3 mars dans toutes les librairies !