👩‍🎤 CULTURE & INNOVATION : Antoine Duhamel

Dans chaque newsletter, pour finir sur une note culturelle, nous demandons à un artiste que nous aimons et dont nous avons eu la chance de croiser le chemin, de nous dire ce qu’est l’innovation pour lui.

Nous avons la chance d’avoir croisé la route d’Antoine Duhamel. Au fur et à mesure que l’on découvre l’univers d’Antoine et après avoir le réflexe de nous cantonner au “sujet” de ses prises de vues, l’on se laisse happer par l’expression et la lumière des oeuvres, et puis bien entendu, par le travail de mise en scène qui trouve son expression la plus aboutie dans ses tirages sur métal de l’une de ses séries les plus connues.

La photo est un art majeur même à l’heure des iPhone et de la démocratisation des outils, et c’est un plaisir d’en accueillir un maestro cette semaine parmi nous !

Voici ce qu’il nous écrit :

“Je souhaite plus que tout emmener la photographie sur de nouveaux terrains de jeu.

Chaque challenge - une campagne de communication, une exposition, un atelier avec des jeunes - est l’occasion d’explorer de nouvelles possibilités pour la photographie à l'ère numérique.  L’importance de l’innovation dans cette mission est considérable.

Songez que la photographie est un art relativement récent (un peu moins de 200 ans), on peut dire qu’elle en est à ses débuts. Elle offre de fait la possibilité à des innovations nombreuses - voire infinies.

AVOIR DES IDEES

Dans le processus de faire passer quelque chose d’une idée à une finalité qui ait de la valeur (que ce processus me prenne une journée, une heure ou cinq ans), je retourne sans cesse au premier moment de l'inspiration, ce moment de feu et d’émotion, cherchant à en ressentir toute l'énergie et l'excitation de la première idée.

Puis je reprends le problème à zéro, de façon pragmatique, méthodique, afin d’envisager toutes les solutions pour repousser les limites, en me demandant si je suis allé assez loin dans le travail pour offrir le meilleur de moi-même sans dénaturer l’émotion initiale.  S’accrocher à cette émotion est très important, simplement parce que les idées, intéressantes au début, peuvent devenir ennuyeuses dans la durée, s’il n'y a pas assez d'énergie pour soutenir le processus créatif jusqu’au bout.

TESTER ET ALLER JUSQU'AU BOUT DE TOUT

A chaque nouvelle idée, je passe mon temps à me demander, de façon presque maladive : « Est ce que ça a déjà été fait, est ce que untel y a déjà songé, comment améliorer ce qui préexiste (dans ma production et dans celle des autres) ? »

Repousser les limites demande d’avoir une vision et de l’audace.  J’ai détruit pas mal d’imprimantes dans ma vie, en leur faisant avaler à peu près n’importe quoi.  A chaque nouveau projet, nouvelle exposition, je vais plus loin dans la démarche, en expérimentant de nouvelles techniques et matériaux.

Par exemple, j’ai envoyé à Lisbonne en décembre dernier une oeuvre qui ornera bientôt le hall d'un nouvel hôtel 5*, le Palacio Ludovice. Cette photographie de deux mètres et demi de hauteur, imprimée sur une plaque martelée d'aluminium anodisé a demandé trois mois et pas moins de neuf tests avant d’arriver au résultat que j’avais en tête.  Les premiers tirages grandeur nature n’étant pas concluants, ce projet aurait pu être abandonné si je n’avais pas forcé la main de mon imprimeur en le mettant en relation avec le fabriquant de matériaux et ses ingénieurs pour trouver ensemble la solution.

PARTAGER SES CONNAISSANCES

L'un des plus gros blocages dans le processus d’innovation est l’égo. La rétention des idées crée beaucoup de complications. Lorsque vous travaillez avec des gens, soyez libre avec vos idées, faites-en un processus ouvert, car les gens avec qui vous travaillez ouvrent des réseaux pour vous, ils vous connectent et peuvent vous aider à trouver la bonne solution.

EXTRAPOLER LES EXPERIENCES

Lorsque vous interagissez avec des personnes du même âge et du même groupe démographique, vous avez les mêmes conversations encore et encore.  C’est trop confortable, et franchement pas particulièrement intéressant.  Le risque est de se répéter, de produire des choses déjà vues pour des gens qui vous ressemblent et qui consomment les mêmes choses que vous.  Personne n’en sort gagnant, ni vous, ni votre public.

En revanche, il y a une opportunité pour un échange créatif, intéressant et précieux, avec des gens qui sont vraiment différents de vous.  Enrichir votre expérience individuelle et la transposer dans un environnement qui brise les barrières, partager avec des gens que vous ne rencontrerez peut-être jamais et leur permettre d’avoir l'occasion d'apprendre de cette expérience : c’est ainsi que les interactions créent des idées novatrices. Ce que vous proposez est alors unique.

THE GOLDEN SESSION

Ma série The Golden Session met en scène des monuments photographiés en Europe, en Afrique, en Amérique et au Moyen Orient imprimés sur laiton.

Le point de départ de cette aventure a été une résidence aux Side Street Studios de Cape Town, où j’ai été invité en 2015 par l’entrepreneur et mécène Elad Kirshenbaum afin de photographier le travail de street artists de renommée internationale.  Il s’agissait au passage de produire une œuvre à exposer au sein de sa galerie.  Passant devant une quincaillerie, je décidai d’y acheter des plaques de laiton poli miroir sur lesquelles je comptais imprimer mes photographies, sans savoir alors si c’était faisable.

Lorsque j'ai présenté mon idée à Dino, un imprimeur sud-africain, il m’a regardé comme si j'étais fou.

- C'est impossible, me dit-il.

C'était le signe que ce que j'avais en tête n'avait jamais été fait auparavant.  Je lui répondis :

- Rien n’est impossible. Ce sera peut être long, difficile ou coûteux, mais pas impossible.

Ainsi a commencé une longue, difficile et coûteuse série de tests.

Dino était amoureux de sa machine. Il craignait que les six têtes d'impression de sa SwissQPrint exposées par la réflexion ultraviolette sur les plaques de métal ne s'autodétruisent instantanément.

Dino, cependant, est un gars sympa. Il m'a suggéré de signer un chèque de caution d'un montant exorbitant. J’ai pensé que ça valait la peine d'essayer.  Lorsque les premières plaques ont été révélées, nous avons tous les deux senti que quelque chose de nouveau était né.

Le résultat a fait l’objet d’une première exposition à New York en 2018, suivie d’une autre à Paris en 2020, puis à Saint-Lunaire en 2021.”

https://antoineduhamel.com/the-golden-session